La légende du petit violoneux

Nos ancêtres occupaient leurs longues soirées d’hiver à filer et tresser la laine jusque tard dans la nuit. Ils avaient pour habitude d’inviter des voisins. En bavardant gaiement, le temps passait plus vite.


La légende raconte que c’est à Plasselb qu’on vivait les meilleures soirées. Quand les conversations allaient bon train pardessus le ronronnement des rouets, la porte s’ouvrait. Entrait un petit bonhomme. Il portait toujours un violon sous le bras. Il allait s’asseoir au chaud derrière le poêle et écoutait silencieusement les bavardages.

Quand tout le monde commençait à bâiller, il accordait son violon et jouait. Sa musique ressemblait d’abord au bruit de cloches entendues au loin, puis aux rumeurs de la forêt, aux chants des oiseaux, enfin à des cris de joie. Le rythme se faisait alors plus rapide jusqu’à ce que les garçons enlacent les filles et que les couples se lancent dans des danses endiablées. Les jupons volaient, la maison tremblait. Au bout d’un moment, la musique se calmait. On reprenait les rouets. Le violoniste se retirait derrière le poêle. Vers minuit, les gens rentraient chez eux. Le lendemain, quand les gens de la maison revenaient dans la pièce, le violoniste n’y était plus.


C’était un drôle de personnage. Personne ne connaissait son nom. Il ne parlait jamais, sauf quand on lui servait à manger ou à boire. Alors il remerciait dans une langue aux consonances étrangères. En été, il se tenait sur les alpages d’un côté ou de l’autre de la Gérine. Il ne se montrait jamais de jour. Mais au coucher du soleil, on entendait souvent ses merveilleuses mélodies résonner dans la vallée. A la tombée de la nuit, la musique cessait. Un peu plus tard, le petit violoneux pénétrait dans l’un ou l’autre chalet d’alpage et s’asseyait près du feu, grelottant. A l’automne, il redescendait dans la vallée avec les derniers troupeaux.


Ainsi s’écoulèrent plusieurs années. Plus personne n’avait peur du petit violoneux. Un matin de mai, on l’entendit jouer dans la montagne. Ses mélodies ne ressemblaient à rien qu’il eût joué auparavant. C’était un chant d’amour. Puis la musique se fit mélodie de larmes. Et les notes montèrent, montèrent toujours plus haut, comme si elles voulaient rejoindre le ciel. Personne ne l’a jamais revu depuis. Mais en été, on entend parfois des notes venues des entrailles de la terre. Et aujourd’hui, un alpage sur les hauts de Plasselb porte son nom: Spielmannda.

dessins de Eugen Reichlen